article publié par La Croix
Modifié le 04/06/2021 à 07:00
Neuf organisateurs de la « semaine des 150 ans des martyrs de la rue Haxo » (1) , qui s’est tenue à Paris en mémoire des otages, et notamment des ecclésiastiques, assassinés par la Commune en 1871, expliquent ici leur démarche. Ils soulignent que « suivre les otages, c’est retrouver le Christ vivant jusque dans la radicale contradiction ».
« Nous avons fait le pèlerinage des otages simplement parce que nous sentions le besoin de porter l’amour du Christ dans nos rues. Nous ne poursuivions aucune stratégie, n’étions guidés par aucune idéologie. Nous voulions simplement prier. »MICHEL POURNY
Toute tragédie humaine est habitée par le Christ. Lui seul peut nous en communiquer le sens profond lorsque l’insensé de la violence et de la mort nous submerge. Organiser un pèlerinage en mémoire des otages de la Commune était une quête pour découvrir la présence de Jésus au cœur des événements qui ensanglantèrent Paris en 1871 ; présence qui demeure dans nos quartiers aujourd’hui. Cette procession s’insérait dans une semaine de prière, longuement préparée par des équipes rassemblant des paroissiens et des prêtres des communautés de l’est parisien.
À la lumière du Christ
Le déchaînement de violence qui s’est abattu sur notre procession samedi 29 mai nous a beaucoup donné à prier et à penser. Les polémiques n’aident en rien dans ce domaine ; elles ne donnent pas l’intelligence de l’événement. Ce qui s’est passé ne peut s’éclairer qu’à la lumière du Christ, qui est le Chemin, la Vérité, la Vie (Jean 14,6).
Le Christ est le Chemin et le premier pèlerin. Lorsqu’il s’incarne dans le sein de la Vierge Marie, le Verbe de Dieu effectue le pèlerinage par excellence. L’Église a toujours marché pour sortir d’elle-même et se rapprocher du Christ et du monde. En marchant, je me décentre de moi-même, je renouvelle ma façon de penser (Romains 12,2), je laisse derrière moi ce qui n’est pas essentiel. Au fond, en « pèlerinant », je vais dans le monde sans accepter d’emblée ses catégories qui m’habitent pourtant. Rencontrer le Christ tel qu’il se donne sur le chemin, et non tel qu’on se l’imaginait, est précisément l’enjeu de la vie spirituelle en général et du pèlerinage en particulier.
L’Église, témoin de la Vérité
Nous découvrons ainsi que le Christ est la Vérité du monde. Personne d’autre ne peut y prétendre, aucune pensée humaine ne peut s’arroger le droit de constituer l’alpha et l’oméga de nos existences.
La Vérité nous transcende. En dépit des grandeurs et bassesses de tel ou tel curé, nous pouvons voir dans le prêtre cette présence de la personne de Jésus, irréductible à nos jugements humains, assurant à l’ensemble de l’Église cette même irréductibilité. Tout ceci se situe au niveau de l’être et, comme tel, ne se laisse pas enfermer dans un concept humain clair et distinct. Le Christ, par le sacerdoce, établit toute l’Église comme témoin de la Vérité. Tuer qui que ce soit est un acte gravissime ; tuer un prêtre n’est pas moralement plus grave, mais revêt une signification singulière : c’est vouloir dénier au peuple de Dieu qu’il est témoin de la Vérité. Toutes les idéologies s’y sont essayées, afin de redéfinir à leur convenance des mots aussi étincelants que « justice » ou « bien commun. »
Privés de leur référence explicite au Christ, tous les concepts forgés par la doctrine sociale de l’Église deviennent des choses livrées aux idées dominantes. On finit par invoquer la « justice » en méconnaissant la vie du Juste ; on place dans ce concept des notions justifiant ce que nous voulons justifier. L’action sociale authentiquement chrétienne doit permettre à tous de découvrir la splendeur de la Vérité comme fondement solide des rapports humains. Les idéologies passent en détruisant, la Vérité renaît sans cesse en édifiant.
Le Christ est la Vie, il demeure opiniâtrement, il vit quelle que soit l’adversité. Suivre les otages c’est retrouver le Christ vivant jusque dans la radicale contradiction. Goûter son intense amour pour les pauvres des faubourgs parisiens avec le père Planchat, être stimulé par sa lumineuse intelligence spirituelle avec le père Olivaint, rencontrer sa miséricorde infinie avec Félicie Gimet. C’est surtout connaître le sens profond de la souffrance, son caractère éminemment rédempteur lorsqu’elle est portée par amour.
L’appel du Christ au pardon mutuel
Les otages, en tant que témoins du Christ, sont la clé de lecture éclairant la fin tragique des communards assassinés. Les martyrs nous ouvrent au sens ultime de la mort de chaque personne, en manifestant la présence substantielle de Jésus au beau milieu de ces événements dramatiques. L’Église entend en eux l’appel opiniâtre du Christ au pardon mutuel. Une justice est-elle possible sans la paix et la réconciliation ? Quel bien commun peut-on espérer atteindre sans communion fraternelle ?
→ À LIRE. « Jamais nous n’aurions imaginé un tel niveau de violence » Nous avons fait le pèlerinage des otages simplement parce que nous sentions le besoin de porter l’amour du Christ dans nos rues. Les participants venaient de bien des pays différents, certains d’entre eux sont nés dans nos quartiers ou y demeurent depuis longtemps. Nous ne poursuivions aucune stratégie, n’étions guidés par aucune idéologie. Nous voulions simplement prier. La violence dont nous avons été victimes a montré les fossés d’incompréhension mutuelle traversant notre ville. Des lieux de rencontres paisibles sont absolument nécessaires. Certains existent, d’autres naîtront à la suite de cette semaine de prière. Les chrétiens pourront y apporter, sans gêne, l’esprit du Christ tel qu’il se révèle dans le chemin des otages. Ces prêtres martyrs ne doivent plus être perçus comme des facteurs de division. En tant que témoins du Christ souffrant pour tous, ils sont paradoxalement destinés à œuvrer à la réconciliation et à la communion entre tous. C’est aussi notre mission, la mission de tous les catholiques.
(1) Père Stéphane Mayor, Alexandra Kozak, Hubert de Germain, Père Stéphane Palaz, Anne-Claire Tranchant, Père Xavier Snoek, Marthe Mendy, Père Manuel Teixeira, Patrick Valey.
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